Accueil > Théâtre > Le Dépotoir > Texte complet

Le Dépotoir

Texte complet

Les personnages

- Paul, le boxeur
- Raymond, l’entraîneur
- Bernard, l’ami

Le décor

La scène représente une pièce vide avec juste des matelas, des chaises, une table, un réchaud et un punching-ball.

Paul, jeune boxeur en tenue (gants, short et chaussures) s’entraîne au punching-ball sur les conseils de Raymond, son entraîneur (la quarantaine, costume clair, cravate voyante, col déboutonné).

RAYMOND
Ta droite, voilà, c’est bon. Surveille ta droite. Allez, ta gauche, OK. Ta droite. Ta droite, bon Dieu ! Ta droite, je te dis. C’est pas possible, t’es dyslexique ou quoi ?

PAUL
Je suis quoi ?!

RAYMOND
Rien. Bon. Allez, ça suffit pour aujourd’hui.

Paul parcourt la scène au pas de gymnastique puis va s’asseoir sur la chaise du milieu tandis que Raymond prend une serviette. Raymond s’approche de Paul et essuie son torse ruisselant de sueur.

PAUL
(Encore excité, agitant les jambes) Je le sens là. Je le sens bien. Putain ! Je vais en faire qu’une bouchée.

RAYMOND
Faut que tu travailles ta droite.

PAUL
Oui. Faut que je travaille ma droite.

RAYMOND
C’est ton point faible. Et il le sait.

PAUL
Il le sait... Ma droite... Je prendrais bien une douche !

RAYMOND
Y’en a pas (Il lui passe la serviette autour du cou). On reprend.

PAUL
On reprend.

RAYMOND
Tu l’as rencontrée quand ?

PAUL
Le 15 mars.

RAYMOND
Non ! Le 16.

PAUL
C’est ça : le 16.

RAYMOND
C’est moi qui l’ai rencontrée le 15 mars.

PAUL
Ah, oui ! c’est toi. Moi, c’est le 16. Pas le 15, le 16. Le lendemain.

RAYMOND
Mais non, pas le lendemain. C’était deux ans avant.

PAUL
OK. Le 16 mars, deux ans après.

RAYMOND
Bon. à quelle heure ?

PAUL
Le soir.

RAYMOND
Pas assez précis. à quelle heure ?

PAUL
Je sais pas, moi, c’était le soir.

RAYMOND
Paul, je t’en supplie, fais un effort. C’est pas possible. On n’y arrivera jamais si tu continues comme ça.

PAUL
Ym’ faut ma douche !

RAYMOND
Y’en a pas, je t’ai déjà dit.

PAUL
(Doucement, avec regret) Ma douche...

RAYMOND
Bon. On continue. Et essaie de réfléchir un peu avant de répondre. Des questions précises appellent des réponses précises.

PAUL
OK. Des questions précises. Des réponses précises.

RAYMOND
Où tu l’as rencontrée ?

PAUL
55, boulevard Richard Lenoir, dans le 11ème arrondissement. 4ème étage, 2ème porte à gauche en sortant de l’ascenseur.

RAYMOND
L’ascenseur était en panne.

PAUL
C’était quand même la 2ème porte à gauche en sortant de l’ascenseur. Tu veux des réponses précises, oui ou merde !

RAYMOND
T’énerve pas. Garde ton influx.

PAUL
Je m’énerve pas. Je garde mon influx. Mon influx. Cette espèce de face de gorille, je vais l’écrabouiller.

RAYMOND
Mais oui, Paul, tu vas l’écrabouiller. Au bout de combien de temps tu l’a sautée ?

PAUL
Deux heures.

RAYMOND
(Lui serrant violemment les épaules) Hier, tu m’as dit deux jours !

PAUL
C’était pas vrai.

RAYMOND
Paul, c’est plus possible. On arrivera à rien. Tu joues pas le jeu.

PAUL
C’est pas facile.

RAYMOND
Je sais, c’est pas facile. Mais tu dois faire un effort, Paul. Tu dois te concentrer.

PAUL
Je suis concentré.

RAYMOND
Oui... mais, tu dis pas la vérité. Tu m’as dit, hier, que tu l’avais sautée deux jours après. Et maintenant tu me dis que tu l’a sautée deux heures après. Qu’est-ce que je dois croire, moi ?

PAUL
Ce que je dis aujourd’hui.

RAYMOND
Et demain, qu’est-ce que tu me diras ?

PAUL
Demain, on sera plus là.

RAYMOND
Ça tient qu’à toi.

PAUL
Je veux me l’écrabouiller, cette face de gorille.

RAYMOND
Alors faut répondre aux questions.

PAUL
Questions précises, réponses précises. (Il se lève d’un bond) à moi.

RAYMOND
On n’a pas fini.

PAUL
Ça fait dix mille fois que je raconte la même histoire.

RAYMOND
Tu dis jamais la même chose !

PAUL
C’est pour varier les plaisirs.

RAYMOND
Pauvre cloche, je t’ai déjà dit cent fois qu’on restera ici tant qu’on aura pas compris pourquoi elle nous a largués. Mais qu’est-ce que t’as donc dans la tête ? Fais-les marcher un peu tes deux neurones.


D’un mouvement violent, Paul repousse Raymond qui va tomber sur un des matelas. Paul retourne au punching-ball et tape dessus.

RAYMOND
Dire que j’ai cru en toi. à vingt ans, t’aurais pu être champion de France. Et toi tu pensais qu’à sauter ma femme.

PAUL
Bon. Maintenant, c’est moi qui pose les questions.

RAYMOND
Quand je dis ma femme...! Tout ce qui passait à portée de ta queue de petit connard !

PAUL
Bon. On y va ?

RAYMOND
Oui. On y va.

RAYMOND
va s’asseoir sur la chaise centrale.

RAYMOND
On reprend où ?

PAUL
Depuis le début.

RAYMOND
Tu te lasses pas.

PAUL
C’est pour voir si tu retiens bien ce que je dis.

RAYMOND
T’inquiète pas. Je retiens le moindre détail.

PAUL
Pas tous les détails. Y’en a qui te gênent.

RAYMOND
Si. Tous les détails. Même ceux qui me gênent. On réglera nos comptes après. Pour l’instant, faut jouer le jeu.

PAUL
Moi , je suis prêt.

RAYMOND
Moi aussi.

PAUL
On reprend. Tout a commencé le... ?

RAYMOND
15 mars.

PAUL
 ?

RAYMOND
17 heures.

PAUL
Les minutes ?

RAYMOND
Y’avait pas de minutes.

PAUL
Alors dis : 17 heures précises. 17 heures...

RAYMOND
... précises.

PAUL
Les questions précises...

RAYMOND
...appellent des réponses précises.

PAUL
Ses vêtements ?

RAYMOND
Un tailleur bleu.

PAUL
J’ai pas encore demandé la couleur.

RAYMOND
Eh ben, demande-la, alors !

PAUL
Si je veux.

RAYMOND
(Qui se lève d’un bond) Mais enfin, bon Dieu, Paul tu te fous de moi ou quoi ?

Instinctivement, Paul recule et se dirige vers le punching-ball.

RAYMOND
Tu veux que je te dise ? T’as aucune envie de sortir d’ici. Parce que tu sais que tu vas le perdre ton combat. T’es plus qu’un tas de graisse.

PAUL
Je tiens la forme ! Et puis d’abord, j’ai pas dit qu’on arrêtait le jeu.

RAYMOND
Pousse pas, Paul. Je suis encore capable de t’écraser la gueule.

PAUL
Alors pourquoi tu l’as pas fait, le 20 juin, à 6 heures 35, quand tu m’as trouvé dans ton pieu avec Dominique ?

RAYMOND
(Retournant s’asseoir sur la chaise)
Attends. Pas si vite. On en était au 15 mars.

PAUL
(Qui abandonne son punching-ball) Ouais. Ça te fait chier de parler de ça. Pourtant faudra bien qu’on en parle !

RAYMOND
On en parlera quand on en sera arrivé là.

PAUL
Facile. Bon. (Reprenant l’interrogatoire) Couleur du tailleur ?

RAYMOND
Bleu.

PAUL
C’était où ?

RAYMOND
Gare de Lyon.

PAUL
Ensuite ? (Raymond ne répond pas) Ensuite !

RAYMOND
« Ensuite » n’est pas une question.

PAUL
D’accord. Vous avez pris le train ensemble ?

RAYMOND
Oui, nous avons pris le train ensemble.

PAUL
Réponds sans reprendre la question.

RAYMOND
Tu te crois malin ?

PAUL
Vous avez pris le train ensemble ?

RAYMOND
Oui.

PAUL
Tu as flashé quand ?

RAYMOND
Tout de suite.

PAUL
Y’avait d’autres personnes dans le compartiment ?

RAYMOND
Non.

PAUL
Donc, y’a aucun témoin.

RAYMOND
Mais qu’est-ce que c’est que cette question ? Je l’ai pas tuée !

PAUL
C’est tout comme.

RAYMOND
Si quelqu’un l’a tuée, c’est plutôt toi !

PAUL
Et puis quoi encore ?

RAYMOND
Parfaitement. On était mariés, heureux. (Paul a un petit sourire). Oui, heureux. Et t’es arrivé.

PAUL
Fallait pas m’inviter !

RAYMOND
T’étais pas obligé de la sauter.

PAUL
Fallait pas nous laisser seuls.

RAYMOND
J’avais une affaire à régler.

PAUL
À minuit !

RAYMOND
C’est pas une raison. Ça faisait même pas deux heures que vous vous connaissiez.

PAUL
On se connaissait déjà.

RAYMOND
C’est nouveau ça ! Depuis quand ?

PAUL
Depuis le 9 octobre.

RAYMOND
De quelle année ?

PAUL
De l’année d’avant.

RAYMOND
(Rassuré) Vous vous étiez rencontrés où ?

PAUL
Au championnat de France.

RAYMOND
T’es une belle ordure, Paul ! Ça fait des mois que tu me répètes que tu as rencontré ma femme le soir où je t’ai invité pour te la présenter. Et tu la connaissais déjà ! Mais, espèce de putain de merde, t’as pas bientôt fini de te payer ma gueule ?

PAUL
Le 9 octobre j’ai « vu » ta femme. Ça veut pas dire qu’on a fait connaissance. Tu comprends ? Bon, maintenant, j’ai faim.

RAYMOND
Déjà ?

PAUL
Ouais. J’ai faim. Là, maintenant.

RAYMOND
Bon, bah. Qu’est-ce que tu veux manger ?

PAUL
Des pâtes.

RAYMOND
Encore des pâtes !

PAUL
De toute façon, y’a rien d’autre.

RAYMOND
Si. Y’a des petits pois, des haricots verts.

PAUL
Oh, arrête ! Je veux des pâtes. Bouffe tes petits pois, toi si tu veux.
Raymond soupire et se dirige vers le réchaud. Il commence à faire chauffer les pâtes.

RAYMOND
Les pâtes, c’est pas bon pour ce que t’as.

PAUL
Qu’est-ce que j’ai ?

RAYMOND
T’as un match à gagner. Et les pâtes, ça fait grossir.

PAUL
Quand je serai dehors, Je me remettrai au régime.

RAYMOND
C’est ça, demain... toujours demain...

PAUL
Hé ! C’est toi qui m’as foutu dans cette merde. Si t’avais pas fait cette putain crise de jalousie, elle nous aurait pas virés tous les deux.

RAYMOND
Tu manques pas d’air ! Je l’ai fait à cause de qui, cette crise ? Qui c’est qu’était dans mon lit avec ma femme ? (Paul reste muet) Bon. (Un temps) Allez, mets le couvert. (Paul montre qu’il ne peut pas le mettre à cause de ses gants) D’accord.

Raymond met le couvert et sert les pâtes. Paul a toujours ses gants. Raymond le fait manger comme un enfant. Au bout de quelques cuillerées entre Bernard, la trentaine bien passée, une valise à la main. Raymond et Paul se regardent stupéfaits.

BERNARD
Bonjour.

RAYMOND
Manquait plus que ça !

PAUL
Bienvenue au club !

RAYMOND
(Après un instant de gêne) Vous aimez les pâtes ?

BERNARD
Euh oui. Oui, j’aime les pâtes.

RAYMOND
Tant mieux. Parce que les pâtes, vous allez en bouffer ! Cet enfoiré n’aime que ça. Si vous préférez les petits pois, n’hésitez pas. On s’en fera pour deux.

BERNARD
à l’occasion.
Bernard pose sa valise, prend une chaise et s’assied. Raymond apporte une assiette, un verre et des couverts pour lui.

PAUL
Vous êtes qui, vous ?

BERNARD
Je m’appelle Bernard.

PAUL
Elle vous a viré, vous aussi ?

BERNARD
Oui.

RAYMOND
Eh bien, bon appétit, Bernard.

PAUL
Bon app’ !

BERNARD
Merci. (S’adressant à Paul) Vous, vous êtes Paul...

PAUL
Bravo !

BERNARD
(S’adressant à Raymond) Et vous, vous êtes Raymond, son mari.

RAYMOND
Exact.

Ils mangent. Entre deux bouchées pour lui, Raymond fait manger Paul.

PAUL
À part ça, comment va-t-elle ?

BERNARD
Du mieux qu’elle peut.

PAUL
Vous n’êtes pas dans la boxe, vous ?

BERNARD
Non. Pas du tout. Je suis représentant de commerce.

PAUL
Je l’aurais deviné. Qu’est-ce qu’il y a dans votre valoche ?

RAYMOND
Écoute, Paul, tu pourrais le laisser souffler un peu. Il vient juste d’arriver.

PAUL
OK.

BERNARD
Je suis représentant en chaussures.

PAUL
Ah...

RAYMOND
Dites-moi, Bernard. C’est bien Bernard, votre prénom ?

BERNARD
Bernard, oui.

RAYMOND
Vous l’avez rencontrée quand ?

BERNARD
Quand ?

RAYMOND
Oui. La date de votre rencontre ?

BERNARD
La date ? Euh... Eh bien, attendez...

RAYMOND
C’est pas une chose qu’on oublie.

BERNARD
Non. Mais, attendez, c’est stupide ! Ça y est ! Le 7 décembre.

PAUL
à quelle heure ?

BERNARD
à quelle heure ? Mais...

PAUL
Vous êtes pas obligé de dire les secondes.

BERNARD
Ah ! Alors, là, je ne sais plus très bien.

PAUL
Faut donner des réponses précises.

BERNARD
Oui. Je pense qu’il était 6 heures. 6 heures, 6 heures et demi...

PAUL
Du matin ?

BERNARD
Non. Du soir.

PAUL
Alors, dites 18 heures. C’est mieux.

BERNARD
Oui, bien sûr, c’est mieux.

PAUL
Les questions précises appellent des réponses précises. C’est la règle du jeu.

Raymond a fini de manger, et de faire manger Paul. Il se lève. Paul va taper sur le punching-ball. Bernard finit de manger.

RAYMOND
Vous étiez quoi au juste pour elle ?

BERNARD
Écoutez...

RAYMOND
Je comprends tout à fait votre pudeur mais vous savez, ici , on est un peu obligé d’étaler sa vie privée devant l’autre, devant les autres. C’est la règle du jeu, n’est-ce pas.

BERNARD
Si c’est la règle...

RAYMOND
(Plus bas) Vous comprenez, on nous surveille.

BERNARD
Qui ? Dominique ?

RAYMOND
Non, non. Pas Dominique. Enfin, je crois pas. Non, pas elle. Enfin, vous devez le savoir mieux que moi. Est-ce qu’elle avait l’air de nous surveiller ?

BERNARD
Non, elle avait surtout l’air de penser à moi, pas tellement à vous !

RAYMOND
Ah bon ! Oui, évidemment.
Paul s’approche de Raymond et de Bernard.

PAUL
Bon. Va falloir s’organiser. On réunira les deux matelas et on dormira tous les trois ensemble.

BERNARD
Non. Ne vous dérangez pas pour moi. Je dormirai par terre. J’ai l’habitude.

RAYMOND
Comme vous voudrez. Est-ce que vous connaissez les règles ?

BERNARD
J’en connais au moins une : « les questions précises appellent des réponses précises ».

RAYMOND
Il y en a d’autres. On ne vous a rien dit ?

BERNARD
Rien. Tout est allé très vite, vous savez. Dominique m’a dit : « Bernard, je crois qu’il vaut mieux qu’on se sépare ». On a un peu discuté, évidemment. Et puis tout d’un coup, il y a eu un vide et je me suis retrouvé ici. On m’a demandé le nom de la femme qui m’avait balourdé et on m’a conduit dans cette cellule. C’est tout.

RAYMOND
(À Paul) Tu te rends compte, Paul, maintenant, elles donnent même plus le règlement. Et vous avez envie de vous tirer de cet endroit le plus vite possible...

BERNARD
Peut-être une petite pause, ça peut pas faire de mal non ?

RAYMOND
Quand je dis « le plus vite possible », c’est façon de parler, hein ? Nous, ça fait dix mois qu’on est ici. Vous seriez d’accord pour répondre à nos questions ?

BERNARD
Pourquoi pas ? Je pense qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire ici. (Désignant le punching-ball) à part taper sur cette espèce de spermatozoïde géant !
Paul observe son punching-ball et recherche la ressemblance.

RAYMOND
(À Bernard) Asseyez-vous sur cette chaise.

BERNARD
Quel est le règlement ?

PAUL
Je vais vous le dire.

RAYMOND
Laisse, Paul, je vais le faire.

PAUL
Tu crois que je suis pas capable de lui dire les règles ?

RAYMOND
Mais si, Paul. C’est pas ça. Mais...

PAUL
Mais quoi ?

RAYMOND
Mais rien. Allez, vas-y. Décidément, tu me feras chier jusqu’au bout !

PAUL
Hé ! Doucement ! Si on est ici, c’est la faute à qui, hein ? On est tous les trois dans la même merde, non ?

RAYMOND
Si. Mais laisse le temps.

PAUL
Quel temps ?

RAYMOND
Pauv’ cloche !
Raymond va s’allonger sur les deux matelas empilés pour bouder.

PAUL
Bon, je vais vous les expliquer, moi, les règles. Ici, c’est un peu comme le Purgatoire (Un temps) Y’a une incompréhension entre les sexes. Vous savez.

BERNARD
Non. Pas forcément.

PAUL
Si, si. Ça marche jamais vraiment. Même quand on croit que ça marche. On est pas fait pareils. C’est tout.

BERNARD
Bon. Admettons. Et alors ?

PAUL
Alors, elles nous balourdent et on atterrit ici. Pour chaque femme, y’a une cellule. Et faut qu’on trouve pourquoi on n’a pas compris. Si on trouve, hop ! on dégage. Si on trouve pas, on reste.

BERNARD
Et vous n’avez toujours pas trouvé ?

PAUL
Non. C’est pour ça qu’on se pose des questions avec Raymond. Dans les autres cellules, y font pas ça. Y se posent pas de questions. Y cherchent. Tous seuls. Chacun dans leur tête. Les questions, c’est un truc à nous. Parce que c’est pas bon de se poser des questions tout seul. Pareil pour les réponses : faut des réponses précises. Sinon il peut vous poser une petite question de rien du tout et vous allez mettre dix mois à répondre. Pas dix mois à réfléchir, hein, dix mois à répondre.

BERNARD
Je comprends (Un temps) Dites-moi, vous le savez, vous, qui nous surveille ?

PAUL
Qui nous surveille ?

BERNARD
S’il y a des règles, il y a forcément un arbitre, comme à la boxe.

PAUL
Bah, c’est elles, c’est eux. Les autres. Vous les avez vus en arrivant, non ?

BERNARD
Ce ne sont que des employés.

PAUL
Et alors ? C’est des employés, mais y nous surveillent quand même. Les employés peuvent pas surveiller ?

BERNARD
Si, si, bien sûr. Mais comment nous surveillent-ils ?

PAUL
Comme ça... Je ne sais pas...

BERNARD
(Plus bas) Approchez-vous.

PAUL
Pourquoi faire ?

BERNARD
Baissez-vous, je vous dis. J’ai un message pour vous. De Dominique.

PAUL
Oh ?

BERNARD
Oui. Elle regrette.

PAUL
Bah, alors, pourquoi elle m’a...?

BERNARD
à cause de Raymond.

PAUL
Ah, l’enfoiré !

BERNARD
Elle regrette, mais, en même temps… Enfin, vous comprenez...

PAUL
Mouais.
Raymond se lève d’un bond.

RAYMOND
Bon. Si on commençait ?

BERNARD
Je vous attendais.

RAYMOND
Depuis qu’on est ici, Paul et moi, on a — comment dire ? — pris des habitudes...

BERNARD
Eh bien, continuez. Faites comme si je n’étais pas là.

RAYMOND
Oui, mais vous êtes là ! Le mieux serait que vous nous racontiez, vous d’abord, votre histoire. La nôtre, après tout, vous la connaissez.

BERNARD
C’est vrai. Mais j’ai besoin de me rafraîchir la mémoire. Et puis, je n’ai entendu qu’un son de cloche.

RAYMOND
Ah, mais, y’a pas deux vérités. Y’en a qu’une !

BERNARD
C’est ce qu’on croit !

RAYMOND
Mais enfin, on le sait mieux que vous ! C’est pas croyable ! Ça nous prend notre femme et ça veut nous donner des leçons !

BERNARD
Minute ! Primo, quand j’ai rencontré Dominique, elle était totalement libre. Deuxio... Deuxio... Deuxio, vous avez raison. Je dois me plier à la règle. Vous avez l’expérience, c’est normal. Excusez-moi.

RAYMOND
Ne vous excusez pas. On est tous un peu nerveux ici. Qu’est-ce que vous voulez ? On s’y attend pas. Elle a dit : « Foutez-moi le camp ! » et hop ! on s’est retrouvé ici. Quand vous aurez passé une nuit dans cet endroit, vous comprendrez. Parce que la nuit, ici vous verrez, c’est inhumain. Vous entendez des cris affreux. On dirait des cris de bêtes. Tenez, dans la cellule qui est juste là (il tape sur le mur du fond), ils sont quarante. Quarante entassés là-dedans. Une belle salope, tiens ! Quarante, qu’elle a jetés dans ce dépotoir comme des vieilles capotes. Si vous les entendiez la nuit. Et y’a des jours où y s’tapent dessus. Ouais, y s’tapent dessus ! Jusqu’à la mort. Et le lendemain, ils remettent. Et là (il frappe sur le mur de droite) c’est pire. Il est seul. Et on entend que lui la nuit. Il fait plus de boucan que les quarante d’à côté. Une belle garce, celle-là. Elle n’a largué que lui. Le con ! Il attend toujours que quelqu’un arrive et personne, personne.

PAUL
Bon, on passe aux questions ? Je me refroidis, moi !

RAYMOND
Paul, allons-y ! Nous allons faire une petite démonstration.

Paul vient s’asseoir sur la chaise centrale. Raymond pose les questions sans quitter Bernard des yeux.

RAYMOND
Il était quelle heure ?

PAUL
20 heures.

RAYMOND
Quel jour ?

PAUL
Le 16 mars.

RAYMOND
Où ?

PAUL
55, boulevard Richard Lenoir, dans le 11ème arrondissement. 4ème étage, 2ème porte à gauche en sortant de l’ascenseur, qui était en panne.

RAYMOND
Au bout de combien de temps tu l’as sautée ?

PAUL
Deux heures.

RAYMOND
Pourquoi ?

PAUL
Parce que t’étais parti pour une affaire.

RAYMOND
Je te parle pas de moi ! Pourquoi tu l’as sautée ?

PAUL
Bah ! Pourquoi tu la sautais, toi ?!

RAYMOND
Bon. Tu l’avais déjà rencontrée avant cette soirée ?

PAUL
Oui. Au championnat de France.

RAYMOND
Tu lui avais parlé ?

PAUL
Non. Je l’ai juste vue. Mais j’ai complètement flashé. Sa nuque. Surtout. Et ses jambes. Ses mollets. Elle avait des talons aiguilles. Et ça, ça me fait flasher, les talons aiguilles. Et puis son tailleur, sa jupe, son cul...
Il y a un très long silence.

RAYMOND
Vas-y, toi, pose-moi les questions.

PAUL
Mais on a pas fini !

RAYMOND
C’était juste une démonstration. Allez, pousse-toi. (Paul se lève) Pose les questions.
Raymond s’assied sur la chaise centrale.

PAUL
Quand ?

BERNARD
(Répondant très vite à la place de Raymond) Le 7 décembre.

Paul hésite un instant mais Raymond lui fait signe de continuer.

PAUL
Où ?

BERNARD
55, boulevard Richard Lenoir, dans le 11ème arrondissement. 4ème étage 2ème porte à gauche en sortant de l’ascenseur, qui marchait.

PAUL
Au bout de combien de temps vous l’avez sautée ?

RAYMOND
(À Paul) Attends, attends. Tu vas trop vite. (À Bernard) Vous veniez chez elle pourquoi ?

BERNARD
En fait, vous allez rire, je me suis trompé d’étage. J’allais chez un copain qui habite au-dessus...

RAYMOND
Continuez.

PAUL
« Continuez », c’est pas une question !

RAYMOND
Oh, mais ça suffit, Paul ! L’important c’est que l’histoire avance. Bon. On continue. Vous vous êtes trompé d’étage et après ?

BERNARD
Rien. Je lui ai demandé où habitait Raoul. Elle m’a dit « Au-dessus » Et quand j’ai vu Raoul, je lui ai dit : « Dis donc, en dessous, y’a une superbe blonde. Elle est toute seule, tu pourrais pas l’inviter ? ». Il a dit « Pourquoi pas ? ». Et il lui a téléphoné. Et elle est montée. Voilà.

RAYMOND
Voilà quoi ?

BERNARD
Eh bien, on a sympathisé.

RAYMOND
Elle vous a quand même prévenu qu’elle était mariée.

BERNARD
Oui. Tout de suite. Et aussi que son mari avait abandonné le domicile conjugal.

RAYMOND
Quel culot ! C’est elle qui m’a foutu dehors !

PAUL
Et elle vous a dit qu’elle avait un amant ?

BERNARD
Oui. Tout de suite aussi. Et même que son mari s’était fait la malle avec lui.

PAUL
Le culot ! Elle nous a virés tous les deux ensemble !

RAYMOND
Passons. Au bout de combien de temps vous l’avez sautée ?

BERNARD
Tout de suite.

RAYMOND
Chez Raoul ?

BERNARD
Pourquoi pas ?

RAYMOND
C’est pas à vous de poser les questions.

PAUL
Non, c’est à moi, maintenant.

RAYMOND
Attends. J’ai pas fini. Profites-en pour t’entraîner.

PAUL
Tu parles que je peux me concentrer !

RAYMOND
Bon, alors, va t’asseoir dans un coin et écoute. Je te passe le relais bientôt. Bien. Où j’en étais ? (À Paul) Avec tes conneries tu m’as fait perdre le fil. (À Bernard) Ah oui... Vous l’avez donc sautée le soir-même...

BERNARD
Exact. Entre elle et moi, ça a marché tout de suite.

RAYMOND
Quand vous êtes-vous installé chez elle ?

BERNARD
Jamais. Elle n’y tenait pas.

RAYMOND
Bah, tiens ! Elle avait peur que je débarque et que je vous trouve tous les deux au pieu !

BERNARD
Non, ça, elle s’en foutait !

RAYMOND
(Après un temps) Donc. Vous êtes rentré chez vous ?

BERNARD
Non plus. Je me suis installé chez Raoul.

RAYMOND
C’était plus pratique.

BERNARD
En fait, j’avais quitté ma femme et je ne savais pas où dormir. C’est pour ça que j’étais venu voir Raoul ce
soir-là.

RAYMOND
Vous étiez marié ?

BERNARD
Oui. Depuis trois ans.

RAYMOND
Mais alors, vous avez déjà fait un petit séjour ici ?

BERNARD
Non. C’est moi qui l’ai larguée. Et il n’y a pas de dépotoir pour les femmes.

RAYMOND
Non, ça, le dépotoir, c’est bien une idée de gonzesses. Nous, on ferait pas des choses pareilles, hein ?

BERNARD
Vous n’aimez pas beaucoup les femmes ?

RAYMOND
Pourquoi vous me demandez ça ?

BERNARD
Elle m’a dit que vous ne l’aimiez pas. Mais je ne l’ai pas crue.

RAYMOND
Je sais, ça parait impossible. Vous savez, j’étais fier d’être son mari. Vous vous rendez compte elle m’avait choisi, moi ! Au milieu de cinquante ! Mais ça suffisait pas de l’épouser, fallait que je l’aime, que j’essaie de l’aimer. Et ça, j’y suis jamais arrivé. Vous comprenez ça, vous, Bernard ? (Bernard ne répond pas) Aimer, c’est pas un problème. Faut pas être très doué. Regardez, le petit connard, il l’a aimée tout de suite. Y s’est pas posé de questions. Mais moi je l’aimais pas. Vous comprenez, Bernard, le plus dur, c’est de pas aimer. (Un temps) Comment c’est possible une chose pareille ? Vous avez une réponse, vous ?

BERNARD
Non.

RAYMOND
Bien sûr, vous pouvez pas comprendre. Vous, vous êtes du genre à aimer. Eh ben, pas moi.

BERNARD
Pourquoi ?

RAYMOND
Si je le savais, je serais pas ici. Bon. Revenons à votre histoire. Où en étions-nous ? Ah, oui ! Donc, au bout de trois mois, vlan, dehors !

BERNARD
Ce que vous êtes agréable ! Oui, c’est ça, vlan, dehors.

RAYMOND
Pourquoi ?

BERNARD
Voyez-vous, je suis voyageur de commerce et un voyageur de commerce, ça voyage pour son commerce.

RAYMOND
Ah, oui... Je comprends. Une fille dans chaque port.

BERNARD
C’est à peu près ça.

PAUL
Bon. C’est bientôt à moi ? Qu’est-ce qui va me rester comme questions ?

RAYMOND
Demain, tu reprendras tout depuis le début. Bon. (À Bernard) Comment elle a deviné que « boum-boum » en province ?

BERNARD
Oh, vous savez, les femmes ont un sens particulier pour deviner ça. Je suis rentré de tournée hier, on a passé la nuit ensemble et puis, tout à l’heure, comme vous dites : vlan, dehors ! J’ai eu juste le temps de prendre ma valise.

PAUL
Pareil que nous.

BERNARD
Et le punching-ball ?

PAUL
On nous l’a donné ici.

RAYMOND
Une dérogation spéciale rapport à la rencontre contre Gunther Almarès, un adversaire terrible. Vous connaissez Gunther Almarès ?

BERNARD
De nom.

RAYMOND
Une rencontre importante pour la carrière du petit. Une rencontre que j’avais personnellement organisée, si vous voyez ce que je veux dire. Et pendant que je lui concoctais un combat aux petits oignons, il se tapait ma femme. C’est pas une ordure, ça ?

BERNARD
Hé !

RAYMOND
Ça m’a coûté une fortune mais ça va me rapporter dix fois plus, si je sors d’ici.

BERNARD
Bien sûr !

RAYMOND
Bref, on a fait des pieds et des mains, et finalement, on nous l’a donné. Sympa ?

PAUL
Je vais l’écrabouiller, cette face de gorille !

RAYMOND
Chut ! Tais-toi !

PAUL
Quoi ? Je vais pas l’écrabouiller ?

RAYMOND
Ta gueule, je te dis. (À Bernard) Vous avez pas entendu un bruit ?

BERNARD
Un bruit de quoi ?

RAYMOND
Un bruit comme quand vous êtes arrivé.

BERNARD
Non. Je n’ai rien entendu. (À Paul) Vous avez entendu quelque chose, Paul ?

RAYMOND
Taisez-vous, bon Dieu ! Je suis sûr qu’on nous en amène un nouveau.

PAUL
Ça va pas, non ?

BERNARD
(À Raymond qui s’est approché du mur pour mieux entendre) Alors ?

RAYMOND
Rien. Ça doit être pour à coté. J’aime mieux ça.

PAUL
Moi aussi.

BERNARD
Moi aussi.

RAYMOND
Dire qu’on va vivre comme ça, dans l’angoisse, pendant des mois.

PAUL
Hé ! Pas question ! Moi demain, je suis plus là. (À Bernard) Elle vous a bien dit quelque chose, sur nous, un truc qui pourrait nous aider...

BERNARD
Rien.

PAUL
(Allant frapper sur son punching-ball) Et merde, tiens !

RAYMOND
T’énerve pas. à nous trois, on va sûrement comprendre. Hein, Bernard ?

BERNARD
Ne faites pas semblant d’y croire.
Raymond, furieux, se précipite sur Bernard.

RAYMOND
Espèce d’idiot ! Vous pouvez pas vous taire ! Paul, il marche au moral, vous comprenez ? Ça fait des mois que je le gonfle à bloc ! Et vous, vous arrivez, et vous me cassez ma baraque. (Bernard commence alors, à son tour, à empoigner Raymond par le revers de sa veste. Raymond se radoucit) Bien sûr, vous venez d’arriver, vous pouvez pas encore comprendre. Mais vous allez voir, quand vous aurez passé quelques mois dans ce trou à rats, le moral, vous verrez, c’est es-sen-tiel !

PAUL
(Se dirigeant vers Bernard) Minute. Minute. On reprend tout depuis le début !

BERNARD
Je me sens pas trop de recommencer. (À Raymond) Ça ne vous dérange pas si j’en pose des questions moi aussi, de temps en temps ?

RAYMOND
Ça va parce que c’est votre premier jour. Mais, demain, on reprend les règles.

BERNARD
OK. Bon. (Un temps) Quand ?

RAYMOND
Quand quoi ?

BERNARD
Quand vous a-t-elle viré ?

RAYMOND
Déjà ? Vous commencez par la fin ?

BERNARD
C’est ça l’important, non ?

RAYMOND
Oui, mais, la rencontre. Enfin ! C’est souvent la rencontre qui conditionne tout.

BERNARD
Si vous voulez. Bon. Quand ?

RAYMOND
(Beaucoup plus à l’aise) Le 15 mars.

BERNARD
Où ?

RAYMOND
à la gare de Lyon.

BERNARD
Sur le quai ou dans le train ?

RAYMOND
Sur le quai.

BERNARD
Quel était le numéro du quai ?

RAYMOND
Ah... merde ! Vous m’avez eu, là. C’est la colle. Le numéro du quai ? Attendez, attendez. Ça va sûrement me revenir. Paul, aide-moi !

PAUL
J’en sais rien, moi ! C’est ton train.

BERNARD
(Avec fermeté) Le numéro du quai ?

RAYMOND
Oui, oui. Je vais vous le donner. Attendez. Le quai numéro 10. Voilà. Le quai numéro 10. Et bah dis donc !

BERNARD
Et qui nous prouve que c’est bien le quai numéro 10 ?

PAUL
Bonne question.

BERNARD
Dites-moi. Il est pas mal rodé, votre petit numéro à tous les deux. Toujours les mêmes questions. Toujours les mêmes réponses. Quel jour ? Quelle heure ? Mais les vraies questions, hein ? Pourquoi elle vous a virés ? La rupture. Pourquoi vous n’en parlez pas ?

PAUL
C’était le 20 juin à 6 heures 35.

RAYMOND
Vous voyez qu’on en parle.

BERNARD
Mais j’en ai rien à faire, moi, des dates, et des heures, et des minutes ! Ce qu’il me faut, c’est des explications, des impressions, des sentiments !

RAYMOND
Bon. (Il se lève résolument) Paul, veux-tu être gentil de lui envoyer ton poing dans la gueule.

PAUL
Non, mais il a raison. Avec tes règles à la con, ça fait dix mois qu’on en est toujours à la rencontre. Tiens, dis-moi un peu pourquoi, le 20 juin, t’as débarqué à 6 heures 35 alors que tu devais arriver que le soir ?

BERNARD
Enfin une bonne question !

RAYMOND
(Hésitant un instant) Un pressentiment.

PAUL
Tu parles ! T’avais tout mijoté, oui. Depuis le début.

RAYMOND
Eh ben, oui ! J’ai voulu m’en tirer en beauté. Y’avait plus rien entre nous. Depuis longtemps. Depuis le début. Un jour ou l’autre, elle aurait eu un amant. J’ai préféré le choisir.

PAUL
T’es qu’une ordure !

RAYMOND
T’as pris ton pied, non ?

PAUL
Si ça se trouve, elle a cru que j’étais de mèche avec toi, fumier ! C’est pour ça qu’elle m’a viré ! Hein, Bernard ? Elle a cru que j’étais dans le coup. Elle vous a dit qu’elle regrettait. Ça veut dire qu’elle a compris. Et moi aussi j’ai compris. (Un temps) Ça vous emmerde que j’ai compris (À Raymond) Eh ben, oui, mon petit père, j’ai tout compris ! Elle m’a viré parce qu’elle a cru que j’étais de mèche avec toi. Voilà ! C’est tout simple ! Ils sont pas si cons que ça, mes deux neurones. (À Bernard) C’est pas vrai que j’ai tout compris ? Ça vous emmerde, hein ? Vous avez pas envie que j’aille la retrouver le premier, bande de salauds !

RAYMOND
Tais-toi ! Bon. On reprend les questions. (À Bernard) On en était au numéro du quai. Posez-moi d’autres questions. Demandez-moi qu’est-ce qu’elle faisait à la gare de Lyon, le 15 mars à 17 heures précises.

PAUL
Mais ferme ta gueule, bon Dieu ! J’ai entendu un bruit.

RAYMOND
Ça marche pas. Je l’ai déjà fait, ce coup-là !

BERNARD
La porte ! Elle est ouverte !

RAYMOND
Ouverte ?
Paul s’approche d’une porte invisible.

PAUL
Ouais, vous avez raison. Elle est ouverte.
Un temps.

RAYMOND
Alors, qu’est-ce qu’il fout ? Il entre oui ou merde ?

BERNARD
Raymond, je crois que personne ne va entrer. Je crois qu’au contraire...

RAYMOND
Vous voulez dire que... (Constatant l’air bizarre de Paul) Qu’est-ce que tu as, Paul ?

PAUL
Je crois qu’on m’appelle.

RAYMOND
On t’appelle ? N’y va pas, c’est une ruse !

PAUL
Je déconne pas. On m’appelle. (Comprenant soudain) Je suis libre ! Raymond, je suis libre !

RAYMOND
Mais, attends, Paul. Tu vas pas partir comme ça !

PAUL
(Rangeant ses affaires dans son sac) Oh, putain, je suis libre !

RAYMOND
Attends, je pars avec toi.

PAUL
Hé ! Y t’ont pas appelé, toi.

RAYMOND
Mais tu as besoin de ton entraîneur.

PAUL
Y’en a d’autres.

RAYMOND
(À Bernard) L’ordure ! Non mais vous entendez ça, Bernard ?!

PAUL
Je suis libre ! Oh, bah, ça ! (À Bernard) Salut, Bernard. Je vous laisse Raymond et le punching-ball. Tchao !

Paul sort de la cellule.

RAYMOND
(S’approchant de Bernard) L’enfant de salaud ! Il me le paiera ! Pourquoi c’est pas nous ? Nous, au moins, on comprend les choses, pas vrai, Bernard ? Alors que ce petit connard...

BERNARD
Vous l’aimez ?

RAYMOND
Lui ? Non. Mais c’est normal... Vous comprenez. Lui, justement, je suis pas obligé de l’aimer. C’est plus simple. Vous comprenez ?
Il a un long moment de silence.

RAYMOND
Peut-être qu’on va le voir redébarquer dans cinq minutes.

BERNARD
Ça m’étonnerait. à l’heure qu’il est, il est plutôt en train d’appeler la police.

RAYMOND
La police ? Pourquoi la police ?

BERNARD
D’après vous, pourquoi appelle-t-on la police ?

RAYMOND
C’est pas vrai ! Vous l’avez pas... (Bernard ne répond pas) Mais pourquoi ?

BERNARD
Vous vous êtes fait larguer sans rien dire. Vous aviez vos raisons. Moi, je n’ai pas supporté.

RAYMOND
Mais vous avez dit que vous aviez eu juste le temps de prendre votre valise.

BERNARD
Ça été très rapide. On s’est disputés. Je l’ai poussée. Sa tête a heurté le coin de la commode.

Un long temps.

BERNARD
C’est pourquoi je ne suis pas pressé de retourner là-bas.

RAYMOND
Oui. Mais Paul va tout raconter à la police. Vous ne croyez pas ?

BERNARD
Possible que oui, possible que non. Soyez gentil, Raymond, ne me posez plus de questions.

RAYMOND
Oui.

BERNARD
C’est pas l’heure du dîner ?

RAYMOND
Euh si, sans doute. On se fait des petits pois ?

BERNARD
Des pâtes, plutôt.

RAYMOND
Va pour des pâtes...

FIN




© Christian Julia. 2021-2021.
Toute reproduction sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

Envie d'en savoir plus sur ces textes ?

Les circonstances de l'écriture des textes sont décrites dans la rubrique Écriture du site général www.christianjulia.fr.

Retour en haut