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Ces vies dont nous sommes faits

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Rencontres du 3e type

Durant l’été 1988, un an après le début de cette aventure, un nouveau surprenant hasard se produit. Pour la production d’une série policière, Madame et ses flics, on m’associe avec une nouvelle assistante. Elle se prénomme Claude et va rapidement devenir une amie. Elle l’est toujours, plus de vingt ans après, puisque c’est avec ses amies que je suis parti en randonnée sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Tout au long de cette production nous nous découvrons un intérêt pour ces choses de l’au-delà qui font si peur à la plupart des mortels (justement parce qu’ils le sont !).

Quelques mois après la fin de cette série, Claude est contactée par un réalisateur qui monte une émission sur le corps et cherche des sujets. Tout naturellement, comme cette question la passionne, elle lui propose le thème de la réincarnation ! Choisir ce sujet pour aborder la problématique du corps, voilà une idée originale qui séduit le réalisateur.

Claude connaît bien la question. Elle a lu les récits d’Alexandra David-Neel, une exploratrice qui a consacré sa vie à la connaissance de la philosophie asiatique, bouddhiste notamment. Elle s’est intéressée aussi aux ouvrages d’Élisabeth Klüber-Ross sur l’accompagnement des mourants.

Claude souhaite contacter Patrick Drouot, l’auteur de Nous sommes tous immortels dont j’ai déjà parlé. Elle voudrait filmer une séance de régression dans les vies antérieures. Mais il est indisponible et elle se tourne alors vers Paul Jamet, un médium qu’elle a découvert dans une émission de radio et qui pratique lui aussi ces techniques. Paul Jamet accepte de participer au tournage d’un reportage. Une séance de régression doit avoir lieu dans la maison de Claude, aux Buttes Chaumont. Paul Jamet et son assistante, Irina, sont prêts à tenter l’expérience devant des caméras. Une date est fixée. L’équipe de télévision est convoquée, mais un événement incroyable se produit. Dans la nuit précédant le tournage, le père de Claude meurt brutalement. Bien évidemment, comme il est de règle dans le spectacle, le tournage est maintenu, et quand Paul Jamet et Irina arrivent chez Claude, ils lui disent très naturellement qu’ils sont venus pour qu’elle puisse nouer un contact avec son père !

Cette rencontre est déterminante pour Claude. La mort l’a privée brutalement d’un père qu’elle adorait et qu’elle admirait. Rien de particulier n’arrive pendant le tournage, mais par la suite, pendant un an, elle va fréquenter assidûment Paul Jamet et son équipe, qui officient dans le 19e arrondissement de Paris et organisent régulièrement d’incroyables séances collectives de dialogue entre les vivants et les morts. J’y reviendrai.

Prendre la décision d’effectuer une régression dans les vies antérieures ne va pas de soi. Il faut franchir le fleuve qui nous sépare du royaume des morts et, comme chacun le sait, ce n’est pas un voyage de tout repos ! Je dois me préparer à cette traversée. Mme Méry, la voyante, m’a conseillé la lecture de l’ouvrage d’Isola Pisani Mourir n’est pas mourir. C’est le journal intime d’un homme qui a perdu sa femme dans un accident de voiture et qui tente de reprendre contact avec elle par le truchement d’un couple de voyants. Ce couple navigue avec une aisance déconcertante du royaume des vivants à celui des morts. Le livre décrit la « vie quotidienne » des morts dans l’au-delà. Est-il possible que les morts continuent à mener une sorte de vie après leur décès ? Est-il possible qu’ils nous observent, cherchent à entrer en contact avec nous, nous guident, nous protègent, nous aiment encore, nous attendent ? Autant l’idée que notre âme peut se manifester sur Terre sous des enveloppes corporelles différentes ne m’a pas choqué profondément, sans doute à cause de mon attrait pour l’écriture et le théâtre, où il est courant de se manifester sous des personnages différents, autant le dialogue avec les morts me trouble.

« Mourir n’est pas mourir » d’Isola Pisani.

J’ai dit à quel point la mort de mon ami Christophe dans un accident d’avion en 1973 m’a affecté. Mais une autre mort a marqué ma vie, dix ans plus tard, en 1983, également au mois de mai, comme Christophe, le même jour, le 22. Ce jour-là, mon frère aîné Bernard a été victime d’une rupture d’anévrisme à Liège à l’issue d’un match de football. Il avait trente-six ans, mais jouait encore à ce sport qui le passionnait. C’était un dimanche, je répétais avec les comédiens de la troupe Manivel à Créteil. Mon jeune frère Didier, qui avait composé la musique de notre nouveau spectacle, avait assisté à la répétition, puis était rentré chez lui à Paris. Moi, j’étais retourné chez mes parents avant de rentrer aux Buttes Chaumont. Pour une raison inconnue, le départ de mon jeune frère m’avait contrarié. Je m’étais dit : « Non, il ne faut pas qu’il rentre. Il faut qu’il reste avec moi ». Sans doute un mauvais pressentiment.

Quand je suis arrivé à Lésigny chez mes parents, ma mère m’attendait sur le pas de la porte et m’a annoncé la terrible nouvelle. Nous avons appelé Didier, qui est revenu immédiatement de Paris. Quelque chose m’avait averti, comme pour le décès de Christophe, qu’un événement terrible s’était produit. Je perdis ainsi mon deuxième « grand frère ».

Ce que j’ai ressenti le plus violemment, après ces deux disparitions brutales, c’était la soudaine absence, cette épaisse muraille qui se dresse alors, irrémédiablement, entre l’autre et soi. Se pouvait-il vraiment que ces très chers disparus fussent là, autour de moi, présents, témoins invisibles de ma vie ?

En fait, je suis en train de franchir un cap. Jusqu’à présent, j’ai concentré mon attention sur les vies antérieures et, menant une sorte d’enquête, je me suis lancé avec Isabelle à la recherche de la vie où nous avons été mari et femme. Je ne me suis guère interrogé sur le royaume des morts. Je suis maintenant au pied du mur. Je ne peux progresser sans aller y voir moi-même de plus près.

Pendant des semaines après la consultation de Mme Méry, je me suis plongé dans des biographies, surtout celle de Camille Desmoulins, mais j’ai senti les limites de cette recherche purement intellectuelle. Et puis j’ai eu un peu honte en découvrant que plein d’individus prétendaient être la réincarnation du révolutionnaire ! Il devient impératif que je mène l’enquête par moi-même.

Puisqu’il existe des individus capables de voir en moi ces vies antérieures, puisque l’écriture m’a apparemment mis en contact avec ces incarnations, pourquoi ne pas plonger par mes propres moyens à la source pour obtenir des informations de première main ? Je sens bien que le destin me guide, me fait rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Je suis porté par une dynamique qui me pousse à explorer les mondes derrière le rideau.

Je prends donc rendez-vous avec Paul Jamet et son assistante Irina. Mort de peur, je me rends à la première séance. Ils me reçoivent dans un tout petit studio dans le 15e arrondissement de Paris. Paul Jamet est un homme assez corpulent, assez jovial, d’une cinquantaine d’années. Il n’a rien d’un gourou mystique. Son assistante, Irina, est une jeune femme blonde pleine d’humanité avec un sourire bienveillant qui illumine son visage. La pièce est minuscule, très encombrée de livres. Un petit divan sert à effectuer le voyage dans le temps. Il y a aussi un bureau, un petit canapé pour le visiteur, des chaises pour Paul Jamet et son assistante. On commence par échanger quelques propos anodins. Ils me fournissent ensuite tellement d’informations intimes sur mon compte que j’ai l’impression d’être tout nu devant eux. On ne peut rien cacher à un médium ! Mais je sens beaucoup de bienveillance chez eux et leurs intrusions dans le fond de mon âme ne me gênent pas.

Quelques jours avant ma venue, Paul Jamet et Irina ont pris contact avec mon guide dans l’astral afin qu’il les assiste pendant la régression, c’est-à-dire, pour l’essentiel, qu’il leur indique quelle période de mes vies antérieures je dois visiter pour mon évolution. Paul Jamet n’est pas surpris par ma venue. Selon lui, j’ai été un « grand initié » dans un passé très lointain ; il est donc naturel que je cherche à approfondir certaines connaissances dans cette vie-ci. Mais, dès ce premier rendez-vous, il me dit que la recherche des vies antérieures n’est pas très intéressante au fond. Que les techniques de méditation qu’il va m’enseigner permettent bien plus, par exemple d’explorer les mondes supérieurs pour étendre ses connaissances spirituelles.

Puis il me demande de m’allonger pour faire le grand voyage. Je suis terrorisé et j’ai bien du mal à me détendre. Or, ce genre d’exercice de méditation ne fonctionne que si l’on se place dans un état de relaxation profonde ! En théorie, il suffit de s’allonger, de relâcher toutes ses tensions intérieures et de laisser monter les choses. La « soupe » spirituelle baigne tellement le monde que notre esprit conscient peut facilement y accéder, pourvu qu’il se débarrasse des inquiétudes et des préoccupations de notre petit moi. On ne va pas chercher quelque chose au fond de soi, on laisse ce quelque chose émerger.

La séance de régression proprement dite commence par des exercices de respiration qui ont pour but d’apporter au cerveau un surcroît d’oxygène pour faire face au travail très particulier qui va lui être demandé. Il faut tout d’abord « brancher » le cerveau sur des vibrations plus élevées. Le cerveau adore les vibrations. Il fonctionne vraiment comme une radio qui capte une fréquence particulière. Tous nos sens réagissent à des fréquences. À des plages de fréquences, plus précisément. Ainsi, nos oreilles ne perçoivent pas les ultra-sons ; nos yeux ont un spectre bien particulier : ils ne sont sensibles qu’aux fréquences comprises entre l’infrarouge et l’ultra-violet. Les objets réfléchissent la lumière du soleil selon une certaine fréquence et c’est ce qui donne les couleurs. Les couleurs n’existent pas en tant que telles dans la nature ; c’est le cerveau qui les crée en fonction des fréquences de la réflexion de la lumière sur la matière. Chaque couleur correspond ainsi à un état d’esprit, depuis le rouge de la colère au bleu céleste de la sérénité.

Si nous visualisons dans notre esprit une couleur particulière et si nous nous concentrons sur cette couleur, nous faisons vibrer notre cerveau selon une certaine fréquence, celle qui correspond au spectre de la lumière.

La technique de méditation de Paul Jamet exploite cette capacité du cerveau [1]. On visualise les différentes couleurs (rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet), en se concentrant longuement sur chacune d’elles, puis on reprend les exercices de respiration en canalisant les trois énergies fondamentales (solaire, magnétique et électrique). Il propose ensuite un petit scénario pour provoquer une forte montée en vibration du cerveau. Plus cette vibration est élevée, plus il faut d’oxygène. On finit par atteindre un stade où le cerveau peut se mettre à l’écoute des mondes supérieurs.

Du fait de la forte oxygénation, mon corps se met à vibrer de façon incroyable, comme dans une transe. Je ressens une certaine ivresse, sans pour autant perdre le contrôle, car l’oxygène maintient le cerveau dans un très haut niveau de vigilance. Du reste, je suis totalement conscient de mon environnement. J’entends clairement les propos de Paul Jamet. Il me parle très naturellement, sans utiliser un ton « mystérieux », sans chercher à m’hypnotiser par son verbe. Il m’indique de façon très technique les différentes étapes. J’ai su ensuite que, pendant ce temps, il passait ses mains au-dessus de mon corps pour maintenir en place « le corps éthérique », cette sorte d’enveloppe spirituelle dans laquelle notre corps matériel baigne et avec laquelle il entretient une relation permanente [2].

Le voyage dans le temps commence par mon enfance. Aucune image ne me vient. Paul Jamet fait ensuite défiler les années à rebours. On remonte à l’époque de ma naissance et comme c’est apparemment très douloureux, Paul Jamet m’entraîne plus loin, au moment de ma conception. Instant incroyable ! C’est très impressionnant de se sentir spermatozoïde puis d’être propulsé dans un grand vide à une vitesse vertigineuse.

En fait, mon état de nervosité est tel qu’aucune image ne m’apparaît. Paul Jamet a beau tout essayer, rien n’y fait. Nous passons d’une époque à l’autre avec une rapidité incroyable. Paul Jamet, sans vouloir trop m’influencer, me décrit des couleurs, des odeurs, pour susciter en moi une remontée de souvenirs, mais ses efforts, et les miens, sont vains. Je veux à tout prix voir quelque chose alors qu’il faut simplement se détendre le plus possible et laisser les images venir à soi. La situation est d’autant plus agaçante que Paul Jamet, lui, voit ces images. C’est ce qu’il me dit, et j’ai toutes les raisons de lui faire confiance, car, au moment de la visualisation des couleurs, j’ai hésité un instant sur la couleur indigo et plus tard il m’en a fait la remarque. Il est donc au courant de tout ce qui se passe dans ma tête !

Au bout d’une heure, il considère que ce n’est pas la peine d’insister et nous revenons lentement en 1988 en procédant à un compte à rebours très précis des années jusqu’à la date et l’heure exacte du moment présent. Puis nous redescendons lentement les couleurs en sens inverse pour réduire les vibrations du cerveau et j’« atterris » ainsi sur le lit du studio de Chevaleret, ici et maintenant, très déçu de n’avoir rien vu.

Paul Jamet me conseille de refaire chez moi l’exercice des couleurs jusqu’à l’apparition de premières images et de revenir le voir.

Merveilleuse planète bleue

Dans les jours qui suivent cet échec, je me mets au travail, chez moi, tout seul. Pour être vraiment détendu, j’ai décidé de pratiquer les méditations dans mon bain ! Pendant des semaines, je ne vois rien. Aucune image ne m’apparaît. Je suis sans doute trop crispé, pas assez en position d’ouverture. Je ne me décourage pas. Et j’ai bien raison. Un beau matin, l’incroyable arrive.

La sensation est à nulle autre pareille, et il est particulièrement difficile de la décrire. L’image qui apparaît a la force d’une image réelle, venant de l’extérieur, sauf qu’elle vient de l’intérieur. Le sentiment qui domine alors est que l’esprit assiste à quelque chose. Un peu comme dans un rêve. Mais rien à voir avec un rêve. On ne dort pas, on est pleinement conscient de ce qui se passe à l’extérieur. On n’est pas dans l’action, comme dans un rêve, on regarde la scène. Et ce qui se présente à notre regard intérieur n’a pas le caractère souvent incohérent du rêve. L’espace et le temps sont présentés dans leur logique habituelle. De plus, au moment où l’image apparaît, se produit dans tout le corps une sensation très étrange, comme une onde de choc, une sorte de tressaillement, une décharge.

Cette image semble en fait une « information » délivrée sous une forme visuelle. C’est un savoir. « On » nous propose une image, à nous de la questionner pour découvrir ce qu’elle veut nous transmettre.

La première image qui se présente ainsi au bout de plusieurs semaines de tentatives infructueuses est de loin la plus belle qu’il m’ait été donné de voir, en rêve comme en imagination, en méditation ou en réalité, cette image, c’est celle de la Terre suspendue dans le vide de l’espace. Elle est là, devant moi, splendide, dégageant une très grande impression de sérénité. Quel choc ! Ce n’est pas le fruit de mon imagination, je sais que quelque chose en moi la voit réellement en direct, sur le lieu même. Ma patience est vraiment récompensée. J’ai eu raison d’insister, jour après jour, sans trop savoir ce qui allait se présenter à moi, mais confiant dans la bienveillance des êtres qui me guidaient dans ma démarche.

Au cours de ma première méditation, c’est l’image de la Terre flottant dans le vide cosmique, qui m’apparaît.

Jamais je n’aurais imaginé être confronté à une telle vision. J’éprouve réellement la conscience d’une masse énorme suspendue dans le vide. Je vois le bleu profond des océans, l’ocre pâle des continents, les nuages qui recouvrent une partie de la surface. Ma sensation est certainement celle des astronautes américains lors des premières missions lunaires. C’est un spectacle d’une beauté hallucinante.

Le plus impressionnant est que j’ai bien conscience d’être moi-même suspendu dans le vide, contemplant la Terre de très loin. Je ressens alors un grand malaise. Mais où suis-je donc pour voir ainsi la Terre de ce point de vue. J’ai alors l’intuition qu’il faut que je demande à la « caméra » de reculer. Je suis en fait convaincu de regarder à travers un hublot.

Effectivement, peu à peu, je vois la Terre s’encadrer dans le hublot d’un vaisseau spatial ! En reculant encore la « caméra », je découvre un immense tableau de bord et, reculant encore un peu, un « petit homme vert », le pilote, qui pianote sur le pupitre de commande. Je vois ses longs doigts décharnés appuyer sur les boutons tout en fixant la Terre comme si nous allions incessamment procéder à un atterrissage.

Je refuse une telle vision. C’en est trop ! Je pense bien sûr immédiatement que je suis en train de me faire un film à la Spielberg. Je me rejoue Rencontres du 3e type. Étant novice, et non guidé, je me crois victime de mon imagination. L’image de la Terre suspendue dans le vide cosmique m’a paru très réelle, mais celle de l’homme vert, non ! Elle est tellement conforme aux images vues au cinéma.

Aussitôt je décide de quitter cette scène pour aller voir ailleurs.

Pendant quelques minutes, il ne se passe rien. Mon guide doit être furieux que j’aie ainsi quitté cette scène prématurément, mais il n’est pas facile de distinguer ce qui est une « vraie » image d’un délire visuel influencé par ce qu’on a vu par ailleurs. Je ne sais pas encore m’abandonner aux scènes qui se présentent. J’apprendrai plus tard à le faire.

Mon guide a sans doute considéré que je n’étais pas encore prêt à approfondir cette vie-là. Je reste ainsi quelques minutes dans le néant. Oui, le néant. On sait pourtant à quel point il est difficile d’arrêter le flux incessant des pensées et des images en temps normal, mais en méditation, on peut ne penser à rien, ne rien voir, être vide. L’activité du cerveau n’est pas totalement annihilée, puisque je vois bien que je ne vois rien, mais cet état de vide est très profond. Comme si, effectivement, le projecteur d’une salle de cinéma s’éteignait soudain.

Et puis soudain, une magnifique image m’apparaît. Je surplombe une ville à flanc de colline. Sans doute une ville du Sud. Les maisons ne sont pas très hautes et possèdent toutes un toit rouge. Comme pour la Terre dans la vision précédente, j’ai réellement le sentiment de voir cette ville « en direct » depuis le lieu où mon regard se situe et non pas en imagination, encore moins en rêve. J’assiste à une scène dont je suis visiblement l’acteur principal.

De nouveau, je demande à la « caméra » de reculer et je vois entrer dans le cadre les colonnes d’un balcon ancien. Tout de suite, j’ai la certitude de me trouver en Italie. Je demande à la « caméra » de reculer encore et je vois une grande pièce, une sorte de salle à manger, avec un parquet sombre et des boiseries. Elle est vide. Je demande à la « caméra » de panoramiquer pour en faire le tour. C’est alors que m’apparaît un personnage de dos. Seul. Une émotion me traverse en le voyant. Je devine que ce personnage est important pour moi puisqu’on me le montre. Il est vêtu d’un costume Renaissance, avec un grand col à jabot et un grand chapeau. Il est très nerveux, comme si ma « caméra » l’indisposait. Il tourne dans la pièce pour éviter mon regard. Quand la « caméra » achève son panoramique à 360°, je retrouve le personnage de dos, appuyé sur le rebord du balcon et contemplant la ville. Je me souviens alors d’un des personnages évoqués par Mme Méry, l’usurier de Florence. Cet homme doit sans doute être moi à l’époque. Pour en avoir le cœur net, je lui demande « Qui es-tu ? ». Toujours très énervé, le personnage se retourne vers moi et me répond sèchement : « Je suis Gérard… ». Puis — et c’est là un détail de la plus haute importance — il marque un petit temps, devinant sans doute que ce prénom ne me dit rien et ajoute : « … Gérard de Nerval ». Nouvelle stupeur de ma part. Je lui demande aussitôt ce qu’il fait là et il me répond, au comble de l’agacement « Eh bien, j’attends ! ». Qui ? Quoi ? Je n’en saurai rien. Le prénom m’a désarçonné, et la façon de le reprendre en le complétant par « de Nerval » m’a paru encore sortir de mon imagination.

Pourquoi mon imagination m’aurait-elle suggéré précisément ce nom alors que je connais tant d’autres Gérard ? Mme Méry ne m’a pas cité ce nom dans ma lignée. Je connais mal cet écrivain, mais je sais qu’il n’a pas vécu à la Renaissance. Pourquoi cet accoutrement, alors ? J’en conclus donc une nouvelle fois que je délire et j’interromps la méditation.

J’effectue lentement le processus de retour à Ici et Maintenant et sors du bain, qui est devenu froid depuis longtemps ! Tout ce processus a pris plus de deux heures.

Une fois habillé, je me précipite sur mon dictionnaire pour en savoir plus sur Gérard de Nerval. Je ne connais pas le détail de sa vie, je n’ai lu aucune de ses œuvres, sinon au lycée ; je serais bien incapable d’en citer un seul titre. Je sais juste qu’on associe généralement son nom à des expériences ésotériques, parce qu’il a participé à de nombreuses séances de spiritisme, comme c’était la mode à son époque. J’ai aussi le souvenir qu’on le voyait se promener dans les jardins du Palais royal en tenant un homard au bout d’un ruban bleu. Maigre bagage culturel.

La lecture du dictionnaire me confirme que Gérard de Nerval a fait de nombreux voyages en Italie. Ce point me trouble, bien sûr. J’ai donc eu une vision de Gérard de Nerval lors d’un de ses séjours en Italie, sans doute à Florence. Pourquoi en Italie et non pas à Paris où il vivait ? Je reste un peu avec mes questions sur les bras, faute d’avoir assez interrogé l’image. Mais l’individu paraissait vraiment énervé. J’aurais dû lui demander pourquoi il était dans cet état, ce qu’il attendait au juste.

Mais je me pose bien sûr une autre question capitale à mes yeux. Est-ce une vie antérieure ? Au XIXe siècle, Mme Méry m’a indiqué que je suis ouvrier dans le Nord et que je mène des grèves. Mais Gérard de Nerval est né en 1808 à Paris et mort dans la même ville en 1855. Il se peut donc que Camille Desmoulins, mort en 1794, se soit réincarné en 1808 et que l’ouvrier ait vécu dans la deuxième partie du XIXe siècle. Le dernier pavillon de logement du familistère de Godin à Guise, nommé Cambrai, a été construit en 1883. C’est donc tout à fait possible. Pourtant, d’emblée, je suis convaincu que Gérard de Nerval n’est pas une vie antérieure, mais quelque chose d’autre.

Comme convenu, je prends rendez-vous avec Irina et lui raconte tout. Ma relation du contact avec l’extraterrestre la met dans une colère noire ! Cet extraterrestre n’était pas du tout sorti d’un film de Spielberg, c’était moi dans une autre dimension ! Je n’ai pas régressé dans une vie antérieure, je ne me suis pas joué un film, je suis resté maintenant, mais pas ici.

Inutile de préciser que lorsque l’on pénètre dans ce genre d’exploration des mondes invisibles, que l’on se met à voyager dans l’espace et le temps, un solide équilibre mental est nécessaire. Je ne suis donc pas tout à fait mécontent d’avoir douté de l’image de l’extraterrestre. Cela me paraît une première réaction plutôt saine. Mais il devient clair pour moi que notre âme, en fait, est une immensité, qui se révèle sous différentes apparences. Au même instant, deux Christian sont entrés en contact : celui qui grelottait de froid dans son bain et celui qui pilotait un engin spatial se dirigeant vers la Terre.

Irina me conseille de retourner dans cette vie lors d’une prochaine méditation et de demander à l’extraterrestre ce qu’il veut me dire.

S’agissant de Gérard de Nerval, sans même que je lui dise mon sentiment, elle doute elle aussi qu’il s’agisse d’une vie antérieure. En revanche, il est évident pour elle qu’il existe un lien entre lui et moi ; elle pense que nous sommes comme deux versants d’une même chose. Je ne suis guère plus avancé. De quelle chose sommes-nous deux versants ? Irina botte en touche en me disant que c’est une notion très complexe, qui se réfère à la façon dans les âmes sont structurées et ramifiées entre elles, et je ne suis pas encore assez avancé pour en savoir plus. Elle me déconseille même d’en parler à d’autres personnes !

Quelques jours plus tard, je me remets en méditation dans mon bain et je demande à retourner dans la vie d’extraterrestre. Immédiatement, l’image féerique de la Terre suspendue dans le vide cosmique se présente de nouveau à moi et je ressens la même émotion en la contemplant. De nouveau, je demande à la « caméra » de reculer ; je revois le hublot, puis le tableau de bord et l’homme vert. Je recule suffisamment pour pouvoir l’observer de dos, assis à son pupitre avec la Terre en arrière-plan. En fait, le vert ne vient pas de sa peau, mais d’une combinaison qui a l’étrange particularité d’être aussi une peau. Impossible de déterminer de façon certaine où finit la combinaison et où commence la peau. De même, en observant sa nuque avec attention, je ne peux dire s’il s’agit réellement de sa tête ou d’un casque. Il a de très longs bras, très fins, qui se prolongent par des doigts eux aussi très longs et très fins, terminés par de petites boules. Il n’a pas cinq doigts, mais trois. Ils effleurent à peine les boutons du tableau de bord. Je me crois de nouveau dans un film de Spielberg, mais j’évite cette fois de douter. En fait, mon esprit est peut-être en train de plaquer des images connues, présentes dans mon imaginaire, sur une réalité très éloignée de la dimension dans laquelle je vis. Je suis fermement décidé à tirer le maximum d’information de cette image. Que veut-elle me dire ?

J’observe longtemps l’homme en vert. Influencé sans doute par Irina, je ressens une très grande familiarité avec lui. Malgré son étrange apparence et la situation bien plus étrange encore dans laquelle il se trouve, je le perçois réellement comme un frère, oui, en quelque sorte, une autre version de moi-même.

Cet homme m’impressionne beaucoup. Au point que j’hésite avant de me décider à « pénétrer en lui » pour découvrir le message qu’il a à me transmettre. Je dois pourtant m’y résoudre, car si je fuis encore, il n’est pas certain que je pourrai accéder à cette image une nouvelle fois. M’armant de courage, je « plonge » mentalement dans sa tête. Tout de suite, une forte impression me saisit. Je capte en un éclair sa nature profonde. Ce n’est ni un plaisantin, ni un personnage sorti de Rencontre du 3e type ! Je ressens toute la puissance et la force intérieure d’un être très élevé spirituellement. Il émane de lui une conscience aiguë des responsabilités qui sont les siennes. Quelque chose qui ressemble à ce que ressent un pilote d’avion de ligne. L’homme en vert a entre ses mains le sort des nombreuses personnes qui se trouvent à bord de son engin. Ce qui le différencie d’un pilote de ligne c’est sa conscience d’aborder une terre totalement étrangère, inconnue, avec une mission à accomplir de la plus haute importance.

Plongé par l’esprit dans cette entité hautement différenciée, j’ai le sentiment d’être un nain, une petite chose stupide et frivole, qui n’a rien compris à rien, un farfadet insignifiant et prétentieux. Difficile dans ces conditions de me dire : « Lui, c’est moi ! » Nous sommes — c’est le cas de le dire — à des années-lumière l’un de l’autre. Et pourtant, malgré cet incroyable écart d’évolution, j’éprouve une grande connivence avec lui, une grande familiarité ou, mieux, une parenté. Oui, nous sommes identiques — il a simplement accompli beaucoup plus de chemin que moi. Il me fait penser à ce prêtre, à ce « grand initié » dont m’a parlé Paul Jamet lors du premier rendez-vous. C’est sans doute pour cette raison que l’homme vert ne m’est pas totalement étranger. Mon âme a sans doute, dans un passé lointain, accédé à certains savoirs. Pour reprendre un des chants de Maldoror de Lautréamont, je me sens parfois « chargé du pesant fardeau d’un secret éternel ». Mais, par sagesse, j’évite de soulever les vieilles pierres. Dans ma démarche spirituelle, j’ai l’impression d’avancer à reculons, effrayé parfois de ce que je vais découvrir. Il y a à l’évidence des choses que je sais, mais que je veux ignorer. Ai-je régressé dans la connaissance depuis cette vie très lointaine de « grand initié », ou ai-je sciemment décidé de m’en éloigner, comme je me suis éloigné de l’écriture, conscient sans doute des dangers encourus ? Je le pense. Je vois bien avec quelle facilité je suis parvenu à certains résultats — malgré des débuts catastrophiques — comme si au fond, la peur vaincue, j’avais retrouvé d’anciennes aptitudes. Je m’aventure avec beaucoup de prudence. Une force me pousse à aller plus loin, mais j’ai peur. Je veux en savoir davantage, et en même temps, je redoute ce qui va se passer.

Que me dit l’homme vert ? Rien, mais en pénétrant en lui, je « sais » que nous entrerons en contact sept ans plus tard, en 1995 précisément, et que, d’ici là, je dois m’élever spirituellement pour que le contact puisse avoir lieu.

Vaste programme !

Mais au fond, comme je le montrerai dans la suite de mon récit, je me demande si cette surprenante rencontre en méditation n’a pas été le début d’un contact permanent entre lui et moi, une connexion


[1Par prudence, je ne détaille pas le processus complet qui permet d’assister à des scènes de ses vies antérieures, et bien d’autres choses encore... Ce genre d’exercice doit impérativement s’effectuer avec un guide, car il peut être très dangereux.

[2Selon les médiums nous sommes constitués de trois corps superposés : le corps physique, qui est le plus visible des trois, le corps astral qui est, en simplifiant, le siège de notre âme et entre les deux, un corps intermédiaire appelé « corps éthérique » qui a la particularité d’être invisible pour le commun des mortels. C’est une réplique de notre corps physique. Corps intermédiaire, il assure la transmission des informations entre le corps physique et l’âme. Il donne vie à la matière. Sa forme est celle du corps physique, mais translucide. À la mort, l’âme se détache du corps physique. Le corps éthérique abandonne lui aussi le corps physique, puis se dissout peu à peu. Il arrive qu’il ne se dissolve pas et erre sur Terre quelque temps. On interprète ainsi la forme blanche que les fantômes montrent aux vivants dans certaines circonstances. Quand le corps physique est au repos et que nos sens sont moins stimulés, le corps éthérique a tendance à moins bien épouser le corps physique. C’est ce qui arrive pendant les exercices de régression. Avec les mains, le médium s’efforce de maintenir le corps éthérique en place afin qu’il continue à échanger des énergies avec l’âme, avec le corps astral.





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